Représentations Sociales de la maladie et interactions patient- médecin : le cas du da cancer de la prostate localisé, à haut risque biologique et de la randomisation entre chirurgie et radiothérapie (RSMIPM)

Fiche projet


ANNÉE

2007

Appel à projets

Programme Doctorants 2007 (INCa)

Acronyme

RSMIPM

Resumé

  1.      LA PRESENTATION DE LA PROBLEMATIQUE Lors de l’annonce d’une maladie et du protocole de soin, l’interaction patient-médecin est un espace de négociations. Celles-ci renvoient toutes à des représentations sociales du corps, de la maladie et de la santé intériorisées par l’un et l’autre des acteurs, selon son propre mode de socialisation. Nous proposons d’étudier cette interaction dans le cadre particulier du cancer de la prostate, dans le contexte d’un projet d’étude clinique de phase III randomisée, en tenant compte de la trajectoire de chacun des deux acteurs en présence, afin de saisir leurs pratiques et représentations du soin 41. Le cancer de la prostate non métastatique est traité communément par des options radicales telles que la chirurgie ou la radiothérapie. Mais aucune étude clinique, comparant chirurgie et radiothérapie, n’a fourni des résultats susceptibles de définir une stratégie selon les 3 groupes pronostiques actuellement définis 13. Plusieurs études 3, 30,12,4 3 sont en faveur de la chirurgie, mais leur ancienneté, la petite taille des effectifs, liée aux difficultés de randomisation et les a priori quant à l’éthique et à la faisabilité d’une randomisation n’ont pas permis d’aboutir à des standards thérapeutiques 44,47 . Des attitudes se dégagent, hors étude, mais la nécessité d’une validation via des études de phase III randomisées est constamment rappelée 44,47.   Ainsi, pour les groupes de pronostic défavorable, l’association radio-hormonale est le traitement de référence 8 et les axes de recherche orientés vers la chimiothérapie ou les biothérapies, à l’exclusion de la chirurgie 11,18,32, 48 .  Pour les groupes favorables, curiethérapie interstitielle et chirurgie sont proposées en priorité et considérées comme équivalentes à long terme. Une étude canadienne, dont le taux de randomisation est amélioré par un programme multidisciplinaire d’éducation des patients, tente actuellement de définir un standard thérapeutique 53. Pour les groupes intermédiaires, toutes les options sont discutables et contraintes par le double enjeu de garantir une espérance de vie optimale, tout en préservant les qualités de vie sexuelle et urinaire. Or, peu de situations en cancérologie sont marquées, comme ici, par le caractère arbitraire de l’information médicale délivrée au patient. Plusieurs études ont été effectuées auprès d’urologues et de radiothérapeutes. Pour 93% des urologues, la chirurgie est la meilleure option alors que 72% des radiothérapeutes considèrent comme équivalents les résultats de la chirurgie et de la radiothérapie. Les deux groupes donnent des estimations similaires quant aux risques de complications liées à l’une ou l’autre option. Les chirurgiens sont d’autant plus divisés sur la place de la chirurgie que la probabilité de maladie intra capsulaire diminue. Enfin, lorsqu’ils sont interrogés à propos d’une éventuelle randomisation pour eux-mêmes, 3 à 60% des praticiens accepteraient d’être inclus dans une étude clinique 20,25,31,42. Dans ces conditions, il est difficile de conduire le patient à l’expression d’un choix libre et éclairé, alors qu’aucune stratégie n’est validée ; seule une étude clinique de phase III randomisée, qui attribue aux patients, l’une ou l’autre option de façon aléatoire, peut apporter une réponse scientifique robuste16,24,47. C’est dans ce contexte qu’a été élaboré le présent projet, alors qu’une étude est envisagée en France. La population cible est constituée par des patients en excellent état général, dont l’espérance de vie est supérieure à 10 ans, libres de tares viscérales altérant le pronostic vital et porteurs d’un cancer de prostate de groupe pronostic intermédiaire cT2c ou défavorable cT3a 51 à haut risque biologique (PSA >10, Gleason ³7). Le protocole prévoit une randomisation entre radiothérapie externe et chirurgie, plus ou moins radiothérapie adjuvante et hormonothérapie concomitante. La gravité de ces formes cliniques est liée en partie à leur profil biologique qui augmente graduellement le risque d’extension extracapsulaire, d’envahissement des vésicules séminales et d’atteinte ganglionnaire. La place de la chirurgie et de la radiothérapie en première intention est actuellement activement discutée dans ces situations. Les obstacles à la réalisation d’une étude randomisée paraissent rédhibitoires 23, toutefois l’évolution considérable de la prise en charge des cancers de prostate en France depuis dix ans réactualise la pertinence de cette question 33,40 pour trois raisons majeures : Les patients sont mieux informés qu’auparavant : · L’introduction, en 1998, de la curiethérapie interstitielle prostatique a placé le radiothérapeute en première ligne pour l’orientation thérapeutique des patients, jusque là essentiellement pilotés par l’urologue. · L’Internet permet l’accès à une information de très haut niveau via des sites spécialisés élaborés par des centres de références. Les patients s’interrogent sur les options thérapeutiques et la qualité de vie, peu débattues auparavant. L’aspect éthique de la randomisation a été largement exploré en Europe et aux Etats Unis : · L’étude suédoise démontre la supériorité de la chirurgie par rapport à la surveillance, en survie globale, pour les formes de bon pronostic 6,35. Les Vétérans conduisent une étude identique dont les résultats seront a priori extrapolables à la population américaine 55. · L’étude ProtecT, du Health Technology Appraisal britannique 23,41 propose deux études randomisées à des patients porteurs d’un cancer de bon pronostic. Une recherche qualitative concernant le schéma et la conduite de l’étude auprès des patients a permis d’augmenter de 40 à 70% le taux de recrutement, en améliorant l’information à travers des entretiens interactifs. Elle met en évidence la notion de courbe d’apprentissage quant à la qualité de l’information. La communauté radio-chirurgicale a évolué : · La généralisation des Réunions de Concertation Pluridisciplinaires élargit de facto l’espace de discussion 40.   · Les progrès techniques en radiothérapie externe avec le développement de l’Irradiation en Modulation d’Intensité et l’Irradiation Guidée par l’Image qui permettent d’envisager un meilleur contrôle local et global de la maladie19. · Les progrès en chirurgie avec l’amélioration du taux de continence et les possibilités de conservation sur le plan sexuel.   · L’apparition de groupes coopératifs dédiés à l’organisation d’études cliniques chirurgicales mettant en question la variabilité inter opérateur 44. · Le développement des programmes d’Assurance Qualité en radiothérapie comme en chirurgie 7,36,39.   Du point de vue Sociologique, nous proposons d’analyser la construction du lien patient-médecin. La santé et la maladie ont une signification sociale qui est étudiée depuis longtemps par la sociologie de la santé Herzlich 34, Dodier 22. Cette réflexion part de l’idée défendue par Canguilhem 14, que les rapports au normal et au pathologique ne sont pas des a priori, mais des construits sociaux. Par exemple, le rapport au soin et à la maladie n’est pas le même selon les catégories socioprofessionnelles. La maladie a donc une réalité organique et sociale. L’annonce de la maladie est un moment singulier dans la trajectoire du patient. En effet, le lien patient-médecin est une rencontre de deux trajectoires sociales. Cette interaction n’est pas compréhensible en dehors de l’histoire et de la trajectoire des acteurs. Si chaque individu a ses propres représentations, transmises et héritées, du corps et de la maladie, celles-ci se transforment dans la négociation avec autrui. On peut faire l’hypothèse d’une transformation identitaire des acteurs dans l’interaction sociale. Nous essaierons de comprendre, comme le suggère Jacques-Jouvenot 37, comment se transmettent les représentations de la santé et de la maladie et quelles sont les transformations identitaires des acteurs de l’interaction. L’annonce de la maladie est une première «épreuve» pour le malade, début de ce que. Strauss appelle «la carrière du malade». En fait, cette entrée dans la carrière de malade est à considérer déjà comme un héritage car le patient entre dans l’interaction avec une histoire de la maladie et de la santé qui le précède et qui pèse de tout son poids dans l’interaction de soin. La transmission intergénérationnelle sera donc considérée comme un indicateur des interactions patient-médecin. La problématique sociologique est ici de comprendre quelle est la part des représentations sociales du corps héritées et négociées à l’occasion de l’annonce de la maladie et la proposition de traitement. 2.       LES objectifs   Le présent projet a pour objectif d’explorer sous un angle sociologique et médical les mécanismes impliqués dans la construction du lien patient-médecin et l’élaboration de la prise de décision, dans la situation spéciale de l’étude clinique envisagée qui questionne les notions de qualité et quantité de vie. 2.1.   Objectif sociologique · Enrichir les connaissances relatives au lien patient-médecin en interrogeant spécialement ces interactions à l’annonce de la maladie, qui est un événement particulier dans la carrière du malade 4,49,50. lorsque l’information carcinologique est délivrée 2,9,10,46,54. à l’annonce des propositions thérapeutiques et spécialement dans le cadre d’une randomisation · Appréhender la notion de choix individuel dans le cadre d’une randomisation, en présence d’un soignant supposé «savant», mais qui en l’occurrence ne tient plus le rôle de tuteur de choix médical. Un certain nombre d’études randomisées comparent un traitement dit « standard » à un traitement innovant, ce qui suppose pour le patient une démarche de type «pari», «prise de risque» éventuellement exaltante. Ici, les deux options sont connues, quant à leurs effets secondaires et leurs résultats à long terme. Une supériorité de la chirurgie en terme de survie globale et spécifique a été démontrée, au prix d’une infériorité en terme de qualité de vie par rapport à la radiothérapie 3. Est-il possible de choisir entre qualité de vie, et quantité de vie ou inversement ? 15,26,28,34,45. · Recueillir et analyser, au cours des observations directes, l’impact du genre de l’interlocuteur et de l’individu interrogé sur la nature de l’information échangée, notamment à propos de la sphère sexuelle : patient homme ou son partenaire en lien avec médecin homme ou femme. Quelle est, sur ce point, l’influence de la transmission intergénérationnelle ? 2.2.   Objectif médical · Fournir au patient une information objective concernant les limites de la connaissance médicale, dans la situation particulière des cancers de prostate de stade intermédiaire, à haut risque biologique. · Expliquer le principe d’une étude randomisée (critères de sélection, tirage au sort, critères de jugement) sa méthode et son rationnel dans le contexte 27. · Expliquer les alternatives à la randomisation (a priori, biais, place de l’affect) qui peuvent conduire à une sorte de randomisation « sauvage » selon l’interlocuteur consulté. · Aborder les critères de qualité et de quantité de vie, définis à partir des référentiels médicaux (échelles de mesure, questionnaires d’évaluation validés [(EORTC-Quality of Life Questionnaire-Core 30 (QLQ-C30) ; Score International des Symptômes de l’Hypertrophie Bénigne Prostatique (IPSS) ; Indice International de la Fonction Erectile (IIFE)]. Les comparer à la demande exprimée dans le cadre des entretiens, par tous les sous-groupes d’individus interrogés, notamment pour les patients, malades mais non encore traités, cf. infra. Etudier l'évolution de la demande en fonction de la gravité de la maladie autrement dit, le poids relatif de la demande en terme de qualité de vie au regard de la quantité de vie quand le pronostic s'assombrit. Y a t il une modification des priorités selon que l’on est sain ou malade, qu’il s’agisse de la continence ou de la sexualité ?  L’HYPOTHESE Le choix du soin résulte de la négociation entre deux trajectoires, celle du patient et celle du médecin, qui ont deux socialisations différentes au corps. Une part des représentations sociales héritées va être négociée dans l’interaction patient-médecin lors de l’énoncé du diagnostic et de la proposition thérapeutique. LA METHODOlogie suivie 4.1. Formation spécifique en terrain médical Le doctorant devra se familiariser avec le vocabulaire médical, chirurgical radiothérapique et s’initier aux principes de la recherche clinique. Pour cela, il sera accueilli pour des périodes de 3 à 4 semaines, respectivement dans le service d’Oncologie Radiothérapie du professeur Jean-François BOSSET, dans un ou plusieurs services de chirurgie urologique de Franche Comté, dans le département de bio-statistiques du professeur Mariette MERCIER. Les modalités de l’enquête et le questionnaire qui constituera la base de ce travail seront élaborés au cours de cette période cf. infra. 4.2. Enquête Pour évaluer le vécu des individus, atteindre les représentations qu’ils ont de leur maladie et de leur corps, avant et après le diagnostic/traitement, décortiquer les mécanismes du choix thérapeutique, il est nécessaire de comprendre quelle a été la socialisation à la maladie. Deux démarches sont considérées : · Quantitative : au moyen d’un questionnaire directif. Il permet d’aborder un plus grand nombre d’individus, mais restreint la qualité et la précision des réponses (questions fermées, semi-ouvertes) et l’éventail des réponses possibles. En outre, il ne permet pas d’appréhender les représentations des individus, ce qui précisément nous intéresse ici. · Qualitative et compréhensive : « Le récit de vie » : C’est une voie féconde pour cette recherche : « Il a pour caractéristique principale de constituer un effort de description de la structure diachronique du parcours de vie, caractéristique qui le distingue radicalement des autres formes d’entretiens. Il y a du récit de vie dès qu’il y a description sous forme narrative de l’expérience vécue 5». Le récit de vie présente l’intérêt d’être descriptif et explicatif, unique et comparatif. Le recueil des données discursives est réalisé à partir d’un entretien semi-directif, ce qui assure une grande liberté de paroles aux interviewés et permet d’être au plus proche de leurs représentations et de leur vécu. Les entretiens sont poursuivis jusqu’à l’obtention d’un « seuil de saturation » au-delà duquel aucune information nouvelle n’apparaît. Le recueil d’histoires de vie doit permettre de reconstruire les trajectoires familiales des individus et ainsi de : o        Saisir les représentations de la maladie, du traitement, de la relation au médecin. o        Rendre compte des détails de l’histoire de vie et les replacer dans l’environnement social. o        Comprendre comment l’individu se raconte et (re)construit son parcours ; en saisir les éléments signifiants. o        Travailler sur une temporalité longue pour comprendre les trajectoires familiales, professionnelles et sociales   L’Observation directe des interactions patient-médecin en consultation permettra d’analyser ce qui se joue pour chacun des acteurs en situation. Ces deux démarches, qualitative et quantitative, permettront d’établir une typologie de patients. 4.3. Echantillonnage Quatre groupes d’individus seront interrogés : · un groupe de patients correspondant à la population cible de l’étude clinique en projet, non encore inclus dans l’étude · les partenaires des patients interrogés individuellement et séparément · un groupe de volontaires sains appariés · un groupe de chirurgiens et radiothérapeutes interrogés, en entretien individuel, en leur nom propre et au nom de leurs patients potentiels L’interview concernera, sur l’ensemble du territoire franc-comtois, des populations représentatives du point de vue de l’origine ethnique 21, des catégories socioprofessionnelles (CSP), de l’âge (tranches de 10 ans, de 45 à 75 ans), des secteurs publiques et libéraux 41 et dans toutes les situations matrimoniales possibles. Le critère rural ou urbain qui recoupe généralement celui des CSP, devenu trop complexe pour être pertinent, n’est pas retenu. L’enquête sera conduite également à Nancy, dans le cadre du Cancéropole Grand Est, dans les trois secteurs public, privé et centre anticancéreux de la ville.  4.4. Analyse des entretiens Les entretiens sont poursuivis jusqu’à l’obtention du seuil de saturation, qui est atteint lorsque l’enquêteur ne recueille plus de discours nouveau sur la problématique 5. Chaque entretien est enregistré puis intégralement retranscrit. Ce corpus de texte est croisé avec les données objectives des déterminants sociaux : âge, CSP, origine ethnique, choix privé-public, statut marital. On recherche les récurrences et les différences dans la rhétorique, en fonction des déterminants sociaux, pour aboutir à une typologie des individus. LeS résultats attendus 5.1. Angle sociologique · Comprendre ce qui est en jeu dans la relation patient-médecin, spécialement dans le cadre du cancer de la prostate et de l’étude clinique en projet, à l’annonce du diagnostic et du parcours personnalisé de soin proposé. · Enrichir la connaissance sociologique de ce lien. · Comprendre les processus de transmission de normes relatives à la santé et à la maladie. · Saisir la place des partenaires dans le rapport à la maladie, et leur rôle dans le choix de la thérapeutique. · Dresser une typologie de patients, en fonction des déterminants sociaux objectifs dans le but de mieux comprendre le rapport au corps, à la maladie, et au soin.  · Connaître les représentations de la qualité et de la quantité de vie selon les groupes de personnes interrogées et leur situation par rapport à la maladie (sain, malade non encore traité, partenaire, médecin) ; analyser ce qui caractérise le passage du sain au pathologique. 5.2. Angle médical · Production d’un support d’information, type DVD. Ce média, en impliquant des collaborations universitaires spécifiques (Pôle multi-média du Nord Franche-Comté), permettra la valorisation de la recherche en Sociologie. Il sera délivré aux équipes médico-chirurgicales et à tous les patients inclus dans l’étude clinique envisagée et rapportera de façon exhaustive et synthétique les informations recueillies au cours des entretiens, dans un langage accessible à tous, à propos du contexte de l’étude, de la randomisation, des options thérapeutiques, des critères de qualité et quantité de vie. · Améliorer la performance des échelles de qualité de vie actuellement disponibles et validées. 5. 3 Perspectives Angle sociologique · L’analyse différentielle des informations recueillies auprès des patients, de leurs partenaires, des volontaires sains et des médecins devra être pondérée par le fait que les patients interrogés ne seront pas personnellement inclus dans l’étude randomisée, compte tenu des délais prévisibles pour sa mise en route à l’échelon national. Dès son ouverture, idéalement au cours de la troisième année de thèse, la comparaison avec un groupe de patients randomisés sera programmée. · Ce travail constitue un support et soulève des pistes d’une réflexion collective, pluridisciplinaire (médecine, sociologie), à poursuivre avec les différents acteurs concernés, médecins, centres de référence, patients et d’envisager d’élargir les résultats à la recherche clinique en cancérologie. · Intervenir dans la formation continue des médecins, au-delà de la deuxième année, dans les Universités participantes. Angle médical · Les résultats obtenus seront comparés à ceux de la ProtecT study du Health Technology Appraisal britannique. · Mieux comprendre ce qui conduit à accepter ou refuser une randomisation, en général en cancérologie. · Quelles pistes pour améliorer le taux de randomisation.

Partenaires

Dr MAILLOT-BARON Marie-Hélène (porteur)

Territoire

Franche-Comté